Pour la sauvegarde et la valorisation de notre Culture Industrielle

Fondation de l'Automobile Marius Berliet

Marius Berliet à l’aube du poids lourd

Du cheval au camion automobile

Si le chemin de fer a aboli les grandes distances au 19° siècle, c’est à une véritable révolution qu’assiste le 20° siècle : l’abandon progressif du cheval qui jusque là était le moyen de transport de personnes et de marchandises privilégié sur les courtes et moyennes distances. En 1910, il y a encore trois fois plus de voitures à cheval que d’automobiles et de camions. Jusque dans les années 50, de nombreux chevaux seront encore employés notamment dans les zones rurales où ils restent le moyen de transport le plus utilisé.

Transport de pierre à Paris, nécessitant 5 chevaux (1900)

Un fardier hippomobile à Paris vers 1900 pour le transport de pierre

Marius Berliet en accord avec son époque

Marius Berliet est l’un des premiers à pressentir les besoins en transport rapide et bon marché des professionnels pour compléter le chemin de fer qui n’a pas la souplesse du « porte à porte ». Il proposera très tôt un outil fiable et d’utilisation aisée, adapté aux besoins. Une fois équipés de ce que l’on appellera plus tard : « le poids lourd », les utilisateurs d’engins motorisés n’auront de cesse de toujours moderniser leur flotte. Les constructeurs dont Marius Berliet sera un des leaders rivaliseront d’efforts et d’ingéniosité pour proposer des outils de plus en plus perfectionnés et performants, de plus en plus confortables.

Marius Berliet définit ainsi en 1907 dans la préface du premier catalogue qu’il consacre aux « camions et omnibus » sa conception du véhicule industriel :

« Rompant délibérément avec une conception mécanique qui consistait à renforcer les différents organes d’un châssis ordinaire pour en faire avec une démultiplication plus ou moins bien calculée, un camion ou un omnibus, nous avons étudié des modèles complètement nouveaux.

Naturellement, nous avons dû créer des organes spéciaux susceptibles de résister aux efforts considérables, aux chocs répétés, aux démarrages fréquents que doit fournir cette catégorie de véhicules… »

Comme ses principaux concurrents, Panhard & Levassor, Renault, Delahaye, Peugeot…, il s’intéresse au transport routier dont l’armée encourage l’amélioration pour ses propres besoins.

Les premiers camions Berliet


Dès 1904, avec l’aide de ses frères Benoit (au volant) et Robert (sur le chargement),
Marius Berliet teste ses premiers véhicules de transport en acheminant depuis
le bassin de la Loire les matériaux nécessaires à ses fabrications : pièces des Aciéries
de Firminy, de la Maison Holtzer d’Unieux, des Aciéries de la Marine
et d’Homécourt à St-Chamond…

Ces camions ne sont encore que des châssis automobiles renforcés.

Puis il conçoit un véritable châssis poids lourd pouvant porter une charge de 2,5 T. Il le présente fin 1906 au concours militaire de poids lourds organisé par l’Automobile Club de France. Il effectue avec succès le trajet Paris-Marseille et retour et arrive premier pour le rendement.

Le camion type L est le premier « vrai » camion commercialisé par Marius Berliet, comme l’atteste la feuille descriptive dressée par le constructeur, vérifiée et signée par l’ingénieur des Mines Rivet le 11 octobre 1907.

 

Selon le nombre de dents des couronnes fixées aux roues motrices, il pourra porter 3 ou 5 tonnes. Son moteur à essence de 4 cylindres 100×120, d’une puissance de 16/22 chevaux, ses trois vitesses et une marche arrière lui permettront de rouler jusqu’à environ 15 km/heure, l’allure du moteur étant de 800 tours /minute.

Des sabots sur chacune des deux roues motrices lui permettront d’assurer un freinage efficace en plus des freins métalliques sur le différentiel.

L’usine Berliet de Monplaisir


« Afin de répondre à tous les besoins, l’usine Berliet doit commencer prochainement la construction d’omnibus automobiles et de véhicules industriels suivant un procédé nouveau, résolvant, d’après Mr Berliet, le problème du transport des poids lourds, non résolu jusqu’ici ».

Ainsi s’exprime le rédacteur d’un rapport sur les usines Berliet réalisé pour le Crédit Lyonnais en 1906. Ce rapport précise que les usines Berliet possèdent un terrain de près de 20 000 m2, occupent 500 ouvriers et fabriquent 50 à 55 châssis d’automobiles par mois, soit environ 650 châssis par an.

Ce dernier chiffre place Berliet en tête des constructeurs pour la production d’automobiles à Lyon. Les revenus de la vente d’une licence de fabrication de voitures au constructeur américain ALCO vont permettre à Marius Berliet d’étendre ses ateliers à partir de 1907. Dès 1908, la production de camions et d’omnibus démarrera dans un atelier affecté à leur montage.

L’usine B sera complète en 1913 et reliée à l’usine A par un tunnel. Elle permettra de doubler rapidement la production d’automobiles et de fabriquer en série des véhicules industriels dont la demande est sans cesse croissante. La fabrication décuplera pendant la première guerre mondiale pour fournir les besoins de transport militaire.

Marius Berliet dessiné par René Vincent, 1907

Ce dessinateur de talent illustrera de nombreux catalogues Berliet à partir de 1906 et jusqu’en 1921
sous la houlette du maître imprimeur parisien Draeger.

Il représente, avec humour, Marius Berliet en industriel visionnaire.
Vêtu de son inséparable blouse blanche, il domine le paysage du quartier
de Monplaisir et des confins vers l’est de Lyon encore très peu urbanisés.

Les minotiers, premiers clients des camions Berliet

D’après les souvenirs de Jean Jouffray, ms, novembre 1957
(Jean Jouffray fut employé au service commercial de Berliet entre 1906 et 1909)

Octobre 1907 : Jean Jouffray prospecte les minotiers de la région qui, chaque mercredi se réunissent place de la Bourse à Lyon pour un « marché aux graines ».

Il est loin de se douter des « efforts qu’il faudra déployer pour amener une clientèle « hippomobile »… à la traction automobile [et] les difficultés inhérentes à la vente d’un véhicule nouveau venu dans les transports. ».

Pourquoi les minotiers ? « Il s’agissait, en vue d’obtenir le meilleur rendement au cours des essais que l’on était appelé à effectuer chez eux, de transporter une marchandise représentant avec le maximum de poids, le minimum d’encombrement, facile à charger et à décharger. Les sacs de blé et de farine réunissaient toutes ces qualités. »

Les minotiers sont convaincus qu’ils tireront des avantages de la traction automobile mais une démonstration est indispensable pour les convaincre qu’il n’est pas nécessaire d’être « mécanicien professionnel pour conduire pareils engins ! »

Le premier à solliciter un essai est « M. Goy, minotier à Pont de Chéruy, féru de mécanique à ma grande stupéfaction, car, en ce temps là… les adeptes de cette branche de l’industrie n’étaient pas très nombreux. Et un beau mercredi, après essais, je rapportais à l’usine un bulletin de commande d’un 5 tonnes, le premier vendu. Ma fierté ne connaissait pas de bornes, je vous l’avoue. »

Par son intermédiaire, Jean Jouffray put réaliser d’autres ventes auprès des minotiers.

Victoire des camions Berliet à Limonest en avril 1908
(souvenirs de Jean Jouffray)


« En avril, se courait chaque année la course de côte de Limonest près de Lyon. Monsieur Berliet voulut profiter de cette circonstance pour présenter ses 3 modèles poids lourds (5 tonnes, 3 tonnes et 1500 kg) au public… »

Le metteur au point Duret conduisait le 5 tonnes, Jean Jouffray le 3 tonnes et le contremaître M. Roux le 1500 kg. Arrivés au pied de la première rampe, Marius Berliet qui tenait particulièrement au succès de la démonstration se mit en devoir de suivre à pied, sur le bas-côté de la route, la petite caravane.

 

Jean Jouffray raconte alors :

« Tout marchait bien, lorsque mon moteur se mit tout d’un coup à pétarader dénotant un manque d’alimentation qui risquait de s’aggraver car le tuyau d’essence s’était cisaillé. Le temps de s’en apercevoir, Monsieur Berliet bondissait sur un cycliste spectateur. Je le vis mettre la main à son gousset, en retirer une pièce, la mettre dans la main du cycliste et lui prendre sa pompe. Revenant à mon camion et, au risque de se faire écraser un pied par les roues munies de bandages fer, il colmata en un tournemain la brèche malencontreuse. Ceci fait, il accompagna toujours pédestrement la petite caravane jusqu’en haut de la côte, en dessous de la pancarte « arrivée » et, ceci, aux applaudissements de la foule. »

 

Dans leurs catégories respectives, les poids lourds Berliet arrivèrent premiers en vitesse et rendement devant les camions Vitrac et Dugelay sur la côte des Chères (3 km 740) le dimanche 26 avril 1908.

UN FORMIDABLE EXPLOIT EN ALGÉRIE :
Pour la première fois, un camion chargé roule vers le Grand Sud


Le 16 février 1908, un camion Berliet chargé de 3 tonnes de fret grimpe à la vitesse de 9 km/h les 12 kilomètres de la course de côte de Médéa à 90 km d’Alger, sur une piste détrempée par les pluies de la veille. Habituée aux charrettes qui ne dépassent pas 150 kg tirées par des mulets, une foule admirative encourage ce qu’elle considère comme un mastodonte. Il continuera ensuite sa course vers Laghouat, grand centre administratif et militaire du sud algérien, à 330 km de là.

Jean Jouffray, chargé de représenter Berliet en Algérie, a fait venir de Lyon ce camion 3 T avec Jean Duret, metteur au point. Après des essais concluants avec l’Armée, le général Bailloud, commandant la division d’Alger a proposé un transport jusqu’à Laghouat où aucun camion n’est encore allé.

Les pistes sont à peine tracées. La majeure partie du trajet s’effectuera sur des zones de sable où il est impossible aux roues ferrées sans adhérence de progresser. Les populations locales aideront spontanément le camion à passer en déplaçant au fur et à mesure des planches sous ses roues. Il mettra 10 jours pour aller et revenir. Cet exploit sans précédent aura un grand retentissement en Algérie.

Le nom de Berliet commence à entrer dans la légende saharienne…

D’après les souvenirs manuscrits de Jean Jouffray, novembre 1957

LES CAMIONS ET OMNIBUS BERLIET EN ALGERIE

Plusieurs tentatives d’introduction de poids lourds à vapeur en Algérie avaient eu lieu au début du siècle : les omnibus de Dion-Bouton en 1906 aux environ d’Oran et d’Alger et les camions Purrey 5 tonnes en 1908. Il n’y aura pas de suite.

Les constructeurs de véhicules à moteur à essence vont peu à peu s’implanter commercialement en Algérie qui représente un marché prometteur. Ainsi, la succursale Berliet ouvre à Alger, 26 bd Carnot, en 1908.

Les transporteurs et les entreprises s’équiperont en masse : le transport de personnes en particulier avec des autobus de marques Berliet et Delahaye, les plus primés aux différents concours de véhicules utilitaires.

Omnibus Berliet type CAD à impériale en 1910 :

Il fait partie des 4 véhicules de monsieur Lakdar, entrepreneur à Constantine. Ces autobus (appelés à l’époque « omnibus ») desservent les localités de Saint-Arnaud, Châteaudun-du-Rhumel et Oued-Atmenia, entre Sétif et Constantine… En tout : 125 kilomètres !