Rochet Schneider : les débuts de l’aventure
Rencontre entre le technicien et le financier.
Retour à Lyon, en 1889 : Édouard Rochet, mécanicien et patron d’une petite entreprise de cycles, s’associe à Théodore Schneider, fils d’un industriel de la filature et passionné de locomotion. L’atelier – situé place Édouard Quinet à Lyon – est florissant. En 1892, les deux hommes envisagent de se lancer dans la construction automobile. Grâce aux fonds de Théodore Schneider, ils édifient une nouvelle usine, rue Paul Bert, sans abandonner la fabrique de cycles. Installé dans ses nouveaux locaux, Édouard Rochet travaille d’arrache-pied à la mise au point d’une première voiture, qui sort en 1895.
Les voitures de l’époque héroïque
Le premier modèle pèse 1000 kg. Il s’agit d’un break à 4 places, 2 vitesses. Il est charronné à la façon d’une voiture hippomobile et pourvu de roues en bois cerclées de fer. Le moteur monocylindrique est placé horizontalement à l’arrière. La transmission se fait par courroies et on change de vitesse au moyen d’un baladeur déplaçant la courroie sur un cône étagé, un peu comme sur les machines-outils. La même année, une version en vis à vis, est réalisée. Elle est plus légère et surtout, les roues de charrette sont remplacées par des roues de type « bicyclette » équipées de pneumatiques. Elle peut rouler jusqu’à 30 km/h, ce qui est remarquable à l’époque.
A l’assaut du Galibier
En 1896, pour la première fois dans l’histoire, une automobile atteint le Col du Galibier (2645 m d’altitude). Edouard Rochet et Théodore Schneider vont en effet profiter du week-end de la Pentecôte, pour éprouver les qualités de leur voiture type « vis à vis ». Après avoir parcouru les quelque 230 km entre Lyon et Valloire (Maurienne), ils poussent l’exploit jusqu’à s’attaquer au Col – soit 18 kilomètres de pente à 7,2% de moyenne.
Les deux constructeurs ne vont pas s’arrêter là ! d’autres excursions montagnardes vont suivre, afin d’établir la réputation de la marque.
Les Rochet Schneider dans la course
Dès la fabrication de ses premiers modèles, la marque lyonnaise choisit de faire sa publicité par les biais des compétitions très populaires à l’époque. L’entreprise mise beaucoup sur ses succès au palmarès. Voici quelques exemples, relevés dans la presse spécialisée de l’époque :
- 6 et 7 mars 1898 : course Marseille- Nice (240 km) : Les conditions météo sont mauvaises (pluie). Sur 71 concurrents engagés, 33 seulement passent la ligne d’arrivée. Édouard Rochet et Théodore Schneider, pilotant chacun une voiture différente, finissent la course en se classant 2e et 5e, à une vitesse moyenne de 25 et 23 km/heure.
- 21 août 1898 : course Lyon-Lagnieu (48 km) : Théodore Schneider se classe à la 2e place, avec une belle moyenne de 42 km/heure.
- 11 août 1901 : course de côte de Laffrey , Isère (6,6 km) : Théodore Schneider couvre la distance en 20 minutes – sur une pente allant de 9,3% à 15 %. Il réalise le 2e temps de sa catégorie.
En 1905, les ingénieurs de Rochet Schneider mettent au point un modèle type « course » d’une puissance de 100 ch , équipé d’un moteur de 8 cyl en ligne (10 litres de cylindrée). Durant les essais, cette voiture atteint 141 km/h au kilomètre lancé. Elle se classe première de la course de côte du Mont Ventoux de 1906.
La plus grande usine de Lyon en 1902.
Les succès précoces de Rochet Schneider intéressent fortement les investisseurs en actions. Parmi eux, Démétrius Zafiropulo acquiert 11% du capital dès 1898. Cet important apport financier va permettre à l’entreprise de s’agrandir. En 1901, une nouvelle usine ultra moderne voit le jour à Monplaisir – chemin Feuillat, une zone très peu urbanisée de Lyon. L’usine de 10 000 m² couvert, occupe un terrain de 20 580 m². L’ architecte Louis Payet, est un spécialiste des constructions industrielles. Il utilise des poutres métalliques de grandes portées, afin d’élargir les volumes. La toiture est structurée en sheds, pour une utilisation optimum de la lumière naturelle. Dès lors, le carnet de commande va suivre une belle courbe ascendante, passant de 100 voitures produites pour l’année 1901 à 250 en 1904. Dans le même temps, le chiffre d’affaires est multiplié par trois.
Parenthèse londonienne (1905-1908)
Les automobiles de la marque sont de plus en plus appréciées en France et à l’étranger (vente de licences aux USA, en Italie, en Suisse et en Belgique). En 1905, au plus fort de ce dynamisme, une opération boursière dissout la société fondatrice pour créer Rochet & Schneider Ltd avec transfert du siège à Londres, tout en laissant la production à Lyon. Le but est d’ouvrir le capital à davantage d’investisseurs étrangers. L’aventure s’avère être un échec : le chiffre d’affaire chute de 40% et les dividendes dégagés ne sont pas à la hauteur des perspectives financières.
Après 4 ans, la société anglaise est dissoute. En novembre 1908 est créée la nouvelle Société Anonyme des Établissements Rochet Schneider. Cette mésaventure va malheureusement freiner l’élan prometteur des débuts. Théodore Schneider qui n’avait pas caché son désaccord avec l’opération financière londonienne, se retrouve écarté des grandes décisions. Il finira par quitter l’entreprise en 1910.
Le choix de l’excellence technique
Malgré les difficultés financières de la période 1905-1910, Rochet Schneider ne baisse pas en qualité et Édouard Rochet va tout faire pour conserver son personnel spécialisé. Le constructeur lyonnais possède également un « laboratoire d’études » composé d’ingénieurs de grande qualité. Cette stratégie est vitale pour l’entreprise, car Berliet, son principal concurrent, connaît une expansion rapide et attire la main-d’œuvre qualifiée de la région.
Focus sur les modèles 1909-1914
A l’instar de Marius Berliet, Édouard Rochet est un adepte du progrès raisonné. Par exemple, les Rochet Schneider à transmission par chaînes sont largement majoritaires jusqu’en 1908, puis la tendance s’inverse. On peut lire en préface du catalogue 1910 : « La transmission à cardan, dont on doutait au début, a été généralisée quand la défaveur qui s’attachait à elle a disparu peu à peu. En effet, la transmission par cardan ne souffre pas de médiocrité, elle doit être robuste ou ne pas être ».
En 1910, les caractéristiques techniques sont les suivantes :
- le moteur monobloc 4 ou 6 cylindres à graissage automatique.
- Le carburateur Zénith.
- La boîte 4 vitesses.
- La transmission par cardan sur les châssis de 12 à 28 HP
- La transmission par chaînes sur les châssis lourds 30 et 70 HP
Des automobiles de prestige…
Les voiture puissantes et luxueuses Rochet Schneider sont particulièrement appréciées de l’élite sociale : Cécile Sorel, les Grands Ducs de Russie, Pavin de Lafarge, etc. En 1913, le Président de la République Raymond Poincaré effectue ses déplacements à bord d’une Rochet Schneider 6 cylindres.
Traditionnellement, la marque est appréciée pour ses solides châssis d’un grand empattement, pouvant recevoir les caisses cossues et confortables réalisées par des maîtres carrossiers. Cette situation va évoluer à partir de 1909 : suite aux difficultés financières dues à la mésaventure anglaise, Rochet Schneider recentre sa gamme sur des modèles moins imposants. Théodore Schneider, en charge de la direction commerciale, décide également de proposer des châssis déjà carrossés en stock, afin d’augmenter les ventes sur place.
Il faut dire que la clientèle se diversifie : elle ne se compose plus uniquement de très riches rentiers mais également de membres de professions libérales, commerçants, négociants…. Ces nouveaux clients ne veulent plus attendre des mois pour recevoir un véhicule habillé par un carrossier extérieur. Afin de répondre à l’évolution des besoins, le service de vente va désormais proposer une carrosserie de série type Torpédo sur les châssis les plus légers de la gamme (12 HP et 18 HP).
Problèmes d’espace
En 1910, la situation commerciale se redresse rapidement et les commandes affluent. Les ventes qui stagnaient à 15 châssis par mois en 1909, passent à 45 par mois, en 1910. Hélas, la production a du mal à suivre ! le délai entre la commande et la livraison est de 6 mois.
Les usines, très modernes en 1902, ne sont plus adaptées. Accroître la capacité de production du site et moderniser l’outil de travail devient une priorité. Édouard Rochet achète d’urgence de nouvelles machines et présente au Conseil d’administration un plan d’ensemble d’extension des ateliers. Ce projet est accepté mais en 1911, les administrateurs rechignent à renouveler les investissements : Édouard Rochet doit se contenter de quelques modifications d’implantation, accordées parcimonieusement alors que les besoins sont de plus en plus pressants.
Un choix industriel à contre-courant :
Selon l’historien James Laux, la politique de Rochet Schneider fut assujettie aux décisions de financiers, très éloignés du milieu de l’industrie. L’entreprise a dès lors, « échappé » à ses deux fondateurs qui avaient à cœur de faire prospérer un outil de travail. Pierre Lucien Pouzet relève dans son ouvrage, « qu’une partie du Conseil d’administration prenait systématiquement une position critique et défiante devant toute dépense industrielle importante ». Les chiffres sont éloquents : alors que pour les exercices 1908-1911, le chiffre d’affaire de Rochet Schneider atteint les 13,5 million de francs, le total des investissement consentis est seulement de 700 000 francs.
A la veille de de la guerre de 1914, alors que d’autres constructeurs automobiles ajoutent à leur catalogue des voitures à prix abordables, Rochet Schneider persiste dans la solution inverse. Après le départ de Théodore Schneider, les dirigeants de l’entreprise choisissent délibérément de rester sur des modèles haut de gamme et ce, malgré un marché du luxe qui devient de plus en plus étroit.
A suivre….