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Fondation de l'Automobile Marius Berliet

Marius Berliet 1866-1949

150EME ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE MARIUS BERLIET « COMMÉMORATION NATIONALE 2016 »

Le 150ème anniversaire de la naissance de Marius Berliet – 21 janvier 1866 /17 mai 1949 – est inscrit dans le recueil des Commémorations nationales 2016 retenues par le Ministre de la Culture & de la Communication.

« Commémorer, c’est non seulement mentionner ou évoquer pour ne pas perdre le souvenir, mais aussi dire notre dette envers une histoire lointaine ou proche qui nous rappelle d’où nous venons, mais qui se refuse à dire où nous allons et nous laisse le choix en nous éclairant d’exemples du passé .» (Catherine Bréchignac, membre du Haut comité des Commémorations nationales.)

Marius Berliet 1905

Marius Berliet est l’aîné d’une fratrie de sept enfants nés de l’union entre Joseph Marie Berliet et Lucie Philippine Favre, deux familles qui appartiennent à « la Petite Eglise », groupe de catholiques anticoncordataires, c’est-à-dire qui n’ont pas reconnu le Concordat de 1801 entre Bonaparte et le pape Pie VII.

parents-M-Berliet

Les quatre garçons et trois filles seront éduqués selon les principes de la Petite Eglise : instruction religieuse, rigueur morale, sens de l’effort et de la famille, attitude stricte à l’égard de l’argent – ni gaspillage, ni spéculation –. Ces valeurs guideront Marius sa vie durant ; il les transmettra à ses enfants même si, en 1911, il adhère totalement au culte catholique.

Le père de Marius a créé avec Jacques Bellet, à Lyon dans le quartier de la Croix-Rousse où il demeure, un atelier de tissage de tissu pour la chapellerie – c’est « un canut ». PUB-Berliet-BelletMarius fréquente l’école de la Petite Eglise, puis à treize ans entre au lycée Ampère, obtient son certificat d’études, est mis en apprentissage comme ouvrier tisseur et rejoint l’atelier paternel.

PASSIONNÉ DE MÉCANIQUE

Son activité professionnelle n’empêche pas le jeune Marius ni de dévorer des revues techniques – Omnia, La Nature – ni de suivre des cours du soir de mécanique et d’anglais à la Société d’Enseignement Professionnel du Rhône.

Son instinct de mécanicien l’incite à inventer et fabriquer une machine à découper et à enrouler automatiquement le ruban, ce qui abaisse le coût du produit. Il améliore l’organisation de l’atelier et ajoute la fabrication des coiffes de chapeau à la production du tissu.

A la suite de ses lectures, il s’attaque, en 1894, à la conception et la construction d’un moteur et, l’année suivante, d’une voiture, ce qui l’absorbe la moitié de ses nuits, les dimanches et engloutit ses modestes économies.

moteur Berliet 1894

En 1895, au volant de sa « machine », il termine son parcours dans la vitrine d’un charcutier de la Grand’Côte à la Croix-Rousse. Son père le tance vertement : « Alors, tu vas me faire le plaisir de te faire soigner et d’envoyer carrément ton automobile au Rhône ». Pas abattu, il modifie les pièces défectueuses. La deuxième version de la voiture n°1 accomplit le parcours Lyon-Neuville/Saône aller et retour, soit 32 km. Il songe à un nouveau modèle, mais les moyens financiers lui manquent. Grâce à des amis, à son cousin Geay et à sa mère qui, elle, pressent le destin exceptionnel de son fils et lui avance 5 000 francs sur sa part d’héritage, il réunit les fonds indispensables à la voiture n° 2. Elle sera assemblée dans les locaux Berliet et Bellet, 5 rue Magneval en mars 1897. Le commanditaire en apprécie les performances mais s’écrie : « Votre voiture est formidable, mais conservez les arrhes et gardez-la pour vous, c’est trop compliqué ».

Berliet rue Sully Lyon 1899

Berliet 1er atelier Croix Rousse 1897

 

A partir du 20 février 1899, il est constructeur automobile avec un compagnon 56 rue Sully, dans un atelier de 90 m2, après avoir accompli la journée chez Berliet & Bellet. La mort de son père, le 30 août 1899 accélère le cours de ses projets. Il confie l’entreprise familiale à ses frères et se consacre à temps plein à sa nouvelle activité. Il fait partie des 619 constructeurs recensés en France.usine-Audibert-&-Lavirotte La surface se révèle vite trop exiguë. En 1900, il s’installe dans un local de 450 m2 et emploie 30 personnes ; la réputation de Berliet dépasse la région lyonnaise. En 1902, il rachète la société Audibert & Lavirotte à Lyon Monplaisir qui compte un effectif de 250 salariés et 10 000 m2 dont 5 000 m2 couverts.

UNE PERSONNALITÉ HORS DU COMMUN

De taille moyenne, svelte, des yeux couleur bleu gris acier au regard profond et pénétrant qui « soupèse l’interlocuteur », Marius est d’un abord réservé. Timide, il parle peu – surtout en public car l’émotion l’étrangle : il écoute, observe, apprend, réfléchit et tranche. Son impatience le conduit parfois à une certaine brusquerie. Il est doté d’une prodigieuse mémoire, d’une forte puissance de travail, d’une résistance à la fatigue et d’une résilience devant les épreuves. Selon certains de ses collaborateurs, sa discipline de vie, sévère et exigeante, lui donne cette force.

Marius Berliet Brevent 1912

Tous évoquent sa vivacité et sa mobilité d’esprit qui lui permettent avec aisance de passer d’un problème à l’autre, sa maîtrise de soi en face des contrariétés, son énergie constante, sa foi en son œuvre. Remarquable esprit de discernement souligné : « Il avait ce don de toujours trouver le point faible d’une étude, de prévoir les insuffisances des pièces avant tout travail, de comprendre d’instinct ce que certains ingénieurs n’arrivaient pas toujours à dégager de leurs études » (Témoignage du chef de l’Atelier d’Etudes, Antoine Martin).

violon-Marius-berliet

Autodidacte appliqué sans cesse à accroître ses connaissances, être sensible à la musique – il joue du violon sans avoir appris, mélomane, il aime l’opéra –, à la littérature depuis les Ecrits de Saint-Augustin jusqu’à la poésie de Rimbaud, il est aussi très habile de ses mains.

Proche de la nature, il aime les promenades en forêt, la marche en montagne et monte régulièrement à cheval. Le temps, ce bien éphémère et précieux qui s’écoule sans qu’on puisse le retenir, ne doit pas être dilapidé en flânerie, futilité ou discours. Alors, toute sa vie, il cherchera à agir plus vite et mieux.

 

Le 17 janvier 1907, a lieu à Paris le mariage civil entre Marius et Louise Estelle Saunière, née en 1881 de parents entrepreneurs de plomberie-zinguerie 35 rue des Saints Pères. Il est suivi de la célébration religieuse en l’église de Saint-Genis-d’Aoste (Savoie) non concernée par le Concordat.

Marius Berliet et madame Savoie 1906

Villa-Esquirol

La demeure familiale sera construite en 1911, dans le quartier de Montchat en voie d’urbanisation et qui est situé à mi-chemin entre l’usine de Monplaisir en plein essor et le futur complexe industriel de Vénissieux dont il nourrit en secret le projet. Edifiée sur un terrain de 8 000 m2, œuvre de l’architecte lyonnais Paul Bruyas, la décoration Art Nouveau est confiée à Louis Majorelle et Jacques Gruber. Joseph Linossier, architecte paysagiste structure le jardin arboré. Depuis 1989, la villa est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques à double titre : la décoration Art Nouveau et la demeure d’un industriel lyonnais du début du 20ème siècle.

fratrie Berliet Cannes 1927

La fratrie de deux enfants (Jean 1908 – 1981) et Simone (1910 – 1912) s’agrandira de trois filles et trois garçons : Odette (1913 – 2013), Yvonne, née en 1914, Henri (1915 – 2012), Maurice (1917 – 2008), Paul (1918 – 2012) et Jacqueline née en 1923.

BÂTIR UNE GRANDE OEUVRE

Le très important conglomérat « American Locomotive Company » souhaite se diversifier dans la construction automobile. A la suite de sa proposition d’acquérir la licence de fabrication de trois voitures Berliet, un contrat est signé le 1er juillet 1905 pour trois ans moyennant le versement comptant de 500 000 francs or, la fourniture de pièces coulées et forgées, le paiement de royalties et la construction d’une usine en Rhode Island.

Alco-pub-1907

« Le petit industriel de province » comme se considère le constructeur lyonnais dispose brusquement de considérables moyens financiers qu’il va transformer en terrains, bâtiments, équipements. L’usine de Monplaisir s’étend bientôt sur 7 ha. Pressentant le développement du transport routier de marchandises et collectif de personnes, il réceptionne au service des Mines de Lyon son premier camion en 1907.

Berliet concours de 1906

Berliet Monplaisir 1912

 

Le projet de l’usine intégrée, du métal au produit fini, se réalisera à Vénissieux/Saint-Priest deux ans après le début du premier conflit mondial afin d’augmenter les capacités de production pour répondre aux besoins de la défense nationale. Des usines de Monplaisir sortiront des obus (5 000 par jour), des camions de type CBA – 40 unités/jour en 1916 – et de celles de Vénissieux, 1 025 chars en 1918.

Vénissieux 1918 CBA-bis

Berliet CBA 1914

A la fin de la guerre, l’effectif dépasse 12 000 personnes mais, en raison de la mise en vente en 1920 des surplus de matériels militaires français et américains, le marché se tarit brutalement. En avril 1921, le règlement transactionnel[1] est prononcé. Nommé responsable technique, il ne se laissera pas abattre, procédera à « des économies sordides » selon sa propre expression, s’efforcera de diversifier l’activité et reprend la tête de l’Entreprise en juin 1929.

[1] Loi du 2 juillet 1919 qui instituait une forme de dépôt de bilan pour les entreprises brutalement privées de commandes en raison de la fin du conflit.

Convaincu que le moteur qui fonctionne au gasoil est l’avenir du transport routier, il s’engage dans cette voie dès 1930. Durant cette décennie, il continue de fabriquer voitures, camionnettes, camions, autocars, véhicules tous terrains et devient le leader du transport routier en France. En 1934, les accords de coordination rail-route freinent l’industrie du poids lourd dont la production baisse de 50 % à la fin des années 30.

Berliet pub gamme 1935Berliet Venissieux 1935

En août 1939, au prétexte que Marius ne peut fournir de plan de mobilisation industrielle, réquisition des usines que l’industriel retrouve après la débâcle. Dans le souci de préserver l’emploi, il assure la pérennité de l’usine en utilisant le gazobois – qu’il a mis au point entre les deux guerres – et qui équipera les véhicules de la zone sud de la France. En 1943, la production baisse à 8 véhicules/jour ; à partir de cette date, la puissance occupante en prélève une partie, soit 2 389 [1].

[1] Les livraisons de véhicules à la puissance occupante des principaux constructeurs : Renault : 32 877 – Citroën : 32 248 – Peugeot : 22 658 – Ford : 10 620.

Vénissieux gazobois 1943L’’année 1944 est marquée, en mai, par le bombardement de l’US Air Force qui endommage quelques bâtiments, en septembre par l’arrestation sans mandat judiciaire de Marius Berliet qui échappe de peu à une exécution sauvage. Il est également dépossédé de son entreprise qui devient l’objet d’une expérience de gestion ouvrière contrecarrée par une grève des cadres fin 1947.

A l’issue de son procès en juin 1946 où « il est dit coupable d’avoir sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale », il est condamné à deux ans de prison, la confiscation de ses biens et interdiction de séjour. Son fils Paul est aussi condamné et sera amnistié en 1954. En raison d’un état de santé dégradé, sa peine est commuée en assignation en résidence surveillée à Cannes.

Le lutteur exilé se bat seul contre l’injustice et la spoliation dont il est victime tout en restant fidèle à ses principes : en août 1948, une transaction lui est proposée par les pouvoirs publics : « Cédez la totalité de vos actions contre une indemnisation de 180 millions de francs car votre Entreprise va être définitivement nationalisée et vous aurez tout perdu alors que vous pourriez ainsi mettre votre famille à l’abri du besoin ». La réponse de l’homme de 82 ans est nette : « On ne discute pas avec des voleurs, je ne céderai jamais ».

Marius-Berliet-à-Cannes--19

Après des années de batailles juridiques, le Conseil d’Etat, le 28 décembre 1949, restitue l’usine à ses légitimes propriétaires.

Mais Marius Berliet, qui ne s’est pas remis d’une intervention chirurgicale subie début 1949, s’est éteint à Cannes le 17 mai 1949, sans avoir revu ni sa maison, ni ses usines.

La société des Automobiles M. Berliet se développe à partir des années 50 et devient le leader des constructeurs de camions français.