Les derniers camions Latil : tout en rondeurs !
A partir de 1945, l’entreprise Latil redémarre difficilement. Les commandes de tracteurs 4×4 et de véhicules spéciaux reprennent mais la production de camions routiers est très faible. De taille modeste, équipé d’outillage vieillissant, le constructeur de Suresnes n’a pas les moyens industriels et financiers d’actualiser sa gamme. Malgré quelques perfectionnements, les véhicules Latil vont rester analogues aux modèles d’avant-guerre.
Le point fort de Latil : la standardisation.
La marque accomplit toutefois le tour de force de proposer fin 1951, une large gamme de camions (9 modèles), tous déclinés sur les mêmes bases mécaniques. Cette politique de rationalisation avait été mise en place par Latil dès la fin des années 30, afin d’optimiser les machines et opérations d’usinage. Le constructeur a notamment opté pour la mise en commun des composants principaux de ses excellents moteurs licence Gardner (l’unité cylindre et les culasses). En outre, le châssis est le même pour les camions à cabine avancée ou arrière.
A la recherche d’un nouveau look
Du côté de la concurrence, un vent de nouveauté souffle sur les véhicules : tournant le dos aux châssis d’avant-guerre, les modèles Berliet, Unic, Somua… s’habillent de cabines modernes et ergonomiques. Latil va tenter de suivre le mouvement : n’ayant pas les moyens de pouvoir tout changer, le constructeur met cependant à l’étude une cabine sensée donner un « coup de jeune » à ses camions.
Le cahier des charges est le suivant : la cabine doit pouvoir se monter, toute finie, sur l’ensemble des châssis de la marque, sans aucune modification et sans autre opération que la fixation et le raccordement des commandes mécaniques et électriques. Elle doit avoir une grande largeur avant, de manière à pouvoir être raccordée facilement sur les caisses de fourgons tôlés qui constituent une part importante des commandes de châssis Latil.
Entièrement métallique, elle est réalisée en grands panneaux soudés par points et judicieusement dessinés pour limiter au maximum l’outillage et les opérations de fabrication. Les formes avant sont réalisées sous presse et étudiées pour permettre le montage des phares sans calottes de raccordement. Elle peut recevoir deux modèles d’ailes afin de s’adapter aux différentes hauteurs au sol des châssis et aux dimensions des pneumatiques, Sa fixation sur le châssis se fait en 4 points sur blocs élastiques.
Le verdict des essais
Mise au point entre 1953 et 1954, cette cabine aux agréables formes arrondies a toutefois du mal à soutenir la comparaison avec celles des marques concurrentes. Les utilisateurs déplorent les vibrations, l’isolation pas suffisamment efficace, l’aménagement intérieur inexistant (ni tablette, ni vide-poche…) mais surtout le volume et la hauteur du moteur qui occupe toute la partie centrale de l’habitacle, générant bruits et chaleur fort incommodants.
Dans un compte-rendu d’essais portant sur le Latil H16A1B8, le journaliste Pierre Lenoir écrit : « Le moteur 6 cyl de 108×152 type H16 est apparu en 1936. Depuis, il a fait l’objet de perfectionnements pour améliorer sa puissance et son rendement. Avec ses 130 ch annoncés pour 10 tonnes, le H16A1B8 est doté d’une boîte bien étagée permettant d’excellentes performances (…) La seule ombre au tableau est la cabine peu en raccord avec les possibilités d’affectation du châssis. Autrement dit, la cabine est trop sommaire et inconfortable pour ce camion que l’essai révélera pourtant rapide et apte aux grands parcours »
Paradoxalement, ce n’est donc pas la mécanique d’avant-guerre qui est incriminée mais l’ajout de cette cabine avancée monocoque autour d’un moteur encombrant et bruyant ! Dans l’idéal, châssis, organes et cabine doivent être étudiés et réalisés en harmonie. Malheureusement, avec ses moyens limités, l’entreprise de Suresnes ne pouvait pas aller au-delà de ce simple « replâtrage » de ses anciens modèles… le résultat s’en ressent.
Consciente de ses faiblesses, l’entreprise Latil accepte en 1955, de s’associer à Somua et au département poids lourds de Renault, afin de constituer Saviem LRS. Les camions H14A1B et H16AIB et leur « bouille ronde » continueront à être produits et commercialisés grâce au vaste réseau commercial Saviem, jusqu’en 1961.