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Fondation de l'Automobile Marius Berliet

Camions Purrey : à toute vapeur !

Cette année, nous avons mis à l’honneur le camion à Purrey type B 1909. Vous voulez en savoir plus ? voici un résumé du dossier documentaire dédié à cet ancêtre pour le moins fumant :

L’âge d’or de l’automobile à vapeur (1875 – 1900)

A la fin du XIXe siècle, les vaporistes sont les mieux placés pour produire des véhicules utilitaires de fort tonnage. Les nouvelles chaudières verticales à tubes d’eau – beaucoup plus légères que les chaudières de locomotives – sont un premier pas vers le progrès. La réserve d’eau – réduite au minimum, est réalimentée par une pompe pour maintenir un niveau constant. Cette technique sera optimisée avec l’invention de la chaudière multitubulaire à vaporisation rapide de Léon Serpollet (1888).

Le Mancelle d’Amédée Bollée 1878

Voiture à vapeur Serpollet 1895

La France abandonne pourtant assez vite la motorisation à vapeur au profit des véhicules à essence. A contrario, la Grande Bretagne produira des camions à vapeur jusqu’en … 1950 ! Parmi les principaux constructeurs vaporistes français encore productifs en 1900, on peut citer Scotte, Darracq- Serpollet, Turgan-Foy, De Dion Bouton… et bien sûr, PURREY.

Valentin Purrey, un chef d’entreprise plein de ressources

Né à Layrac (Lot & Garonne) en 1861 , l’ingénieur Valentin Purrey travaille tout d’abord en Argentine, puis en Espagne où il construit sa première automotrice pour la ville de Barcelone. Il s’implante à Bordeaux en 1890 et crée, sur le site de Bègles, sa propre usine qui livrera aux transports bordelais une série de tramways à vapeur. D’autres automotrices – véritables ancêtres des autorails – seront également produites avec un succès certain.

Valentin Purrey et son fils, vers 1900

Convaincu par l’avenir du transport sur route, Valentin Purrey se lance dès 1898, dans la mise au point d’un camion. Pour l’équiper, il s’inspire de la technique de la vaporisation instantanée et dépose le brevet d’une chaudière verticale multitubulaire à vapeur surchauffée.

Purrey 1898

Le premier modèle Purrey est photographié ici dans la cour d’une caserne bordelaise, où il effectue des essais.

Les camions automobiles des sucres SAY

En 1900, les véhicules utilitaires de la concurrence excèdent rarement 2 tonnes de charge utile. Proposé pour 5 ou 10 tonnes de charge utile, ce tout nouveau camion Purrey intéresse au plus haut point la grande raffinerie sucrière Say, sise dans le 13eme arrondissement de Paris. Jusqu’alors, l’entreprise transportait le sucre entre la gare des Gobelins et son usine, à l’aide de fardiers de 10 tonnes (100 sacs de 100 kg) nécessitant chacun la force de 5 robustes chevaux boulonnais. Say passe commande de 34 camions pour remplacer son encombrante et coûteuse écurie de 400 animaux. Chaque camion aura à parcourir jusqu’à 80 km par jour, sous forme d’incessantes navettes. Ce sera la toute première flotte de camions automobiles au monde (1902).

A gauche : les 8 premiers camions Say sont des 10 tonnes (près de 20 tonnes en charge !) comme ils dégradaient beaucoup la chaussée,
Say commandera par la suite des modèle de 5 tonnes plus légers et plus rapides (à droite)

 

Une large variété d’utilisation

Parcourant entre 8 et 12 km à l’heure en charge, soit une moyenne deux fois plus élevée que les lourds chariots hippomobiles équivalents, les camions de 5 et 10 tonnes Purrey Purrey intéressent plusieurs entreprises. Ils seront utilisés notamment pour le transport des gros rouleaux de papier d’imprimerie des journaux « Le Matin » et « Le Petit Parisien ». On les retrouve aussi chez les minotiers (Grands Moulins de Corbeil…), dans les sociétés minières et les carrières, etc. En raison de leurs performances, ils seront qualifiés de « Roi des poids lourds » dans les publicités et la presse de l’époque.

A la tête d’une usine de 450 personnes, Valentin Purrey réalise divers matériels routiers et ferroviaires, des chaudières pour l’industrie, mais aussi des roues, des bennes et des carrosseries à la demande de ses clients. Ainsi, les caisses fabriquées pour les Glacières de Paris seront considérées comme les premiers fourgons isothermes automobiles (1906).

Purrey à l’export

Grace à sa connaissance des pays hispaniques et aux bons contacts noués avec l’industrie sucrière, Valentin Purrey exporte plusieurs camions en Espagne et en Amérique Centrale, pays où les animaux de trait ne sont guère performants pour tracter les fortes charges. Ces véhicules assureront le transport de masses indivisibles, dédiés principalement au raffinage de la canne à sucre.

Purrey : déchargement d’un moulin à sucre à Cuba (1910)

Une mécanique aux performances appréciées…

D’une fiabilité à toute épreuve, le camion Purrey possède des qualités indéniables :

  • Le principe de fonctionnement est simple : nul besoin de carburateur, d’allumage, d’embrayage, ni de changement de vitesses ou autres organes délicats et souvent capricieux.
  • Il est moins coûteux à fabriquer, le véhicule est moins cher à l’achat que
    la plupart de ses concurrents.
  • Faible prix de carburant : en 1908, le charbon coûte 9 fois moins cher que l’essence (3 centimes de Franc le kg contre 27 centimes de de Franc le litre)
  • Confronté aux trépidations des mauvaises routes de l’époque, il est beaucoup moins fragile qu’un châssis équipé d’un moteur à essence.
  • Le robuste moteur permet une forte réserve de puissance pour le « coup de collier » au démarrage. Le couple important confère une grande souplesse d’utilisation et permet de gravir facilement des rampes à 12%.
  • Un freinage de qualité est obtenu grâce à une rapide inversion « à contre vapeur » du moteur, permettant de bloquer efficacement le véhicule.
  • La vitesse en charge est de 8 et 14 km/h. Elle peut atteindre 20 km/h à vide
  • Une très forte charge utile allant – selon le modèle – jusqu’à 12 tonnes fait du camion Purrey, le poids lourd français ayant la plus grosse capacité de chargement en 1914.

schémas réalisés à partir d’un catalogue Purrey de 1913

Les inconvénients les plus notables :

L’entretien du véhicule et – surtout – du générateur, exigent impérativement les compétences d’un personnel spécialisé et un atelier bien équipé. Une telle contrainte est gérable pour une flotte organisée comptant plusieurs véhicules. En revanche, elle s’avère encore trop compliquée pour les petites sociétés, artisans et commerçants de l’époque, qui préfèrent utiliser leurs chevaux dont ils maitrisent bien les soins.

  • Le poids mort du camion Purrey est élevé, à cause de la chaudière et de la réserve d’eau. Quand le véhicule circule sur une longue distance, il faut embarquer une réserve de charbon à la fois lourde et encombrante.
  • Le véhicule consomme en moyenne 5,7 kg de charbon (coke) par km, soit environ 500 kg par jour. Ce combustible est très bon marché à l’époque mais nécessite un gros espace de stockage.
  • Son autonomie est limitée par un besoin d’eau fréquent. La consommation moyenne est de 20 litres par km. (le réservoir de 600 litres permet de rouler pendant 25 à 30 km).
  • Cette eau doit être si possible épurée, afin d’éviter les dépôts de tartre dans la tuyauterie.
  • Les délais de mise en pression du générateur avant le démarrage sont longs (30 minutes au moins)
  • Les soins à prendre en fin de journée de travail sont fastidieux (nettoyage de la chaudière, purge des tuyaux etc.).

publicité 1906

Déclin et fin de règne…

Sans réels concurrents jusqu’en 1909, Purrey est le leader de sa catégorie. Après une décennie assez prospère, le « Roi des poids lourds » est finalement détrôné par les camions à essence, notamment Berliet et Renault. Reprise en 1913 par le constructeur irlandais Exshaw, la société Purrey continuera malgré tout à produire jusqu’à la fin des années 1920. Écarté de l’affaire qu’il avait créée, Valentin Purrey va étudier divers projets dans les équipements ferroviaires, l’aviation, les pompes à essence et le machinisme agricole. Il mourra en 1928.