Accidents de la route : Le côté obscur des 30 glorieuses !
Les décennies 1950-1970 – appelées également « 30 glorieuses », sont généralement perçues comme une période heureuse, dynamique et optimiste que l’on évoque avec une douce nostalgie. Il est cependant un domaine où il est impossible de dire que « c’était mieux avant » : celui des accidents de la circulation.
Les chiffres sont éloquents ! En 1951, le parc automobile français atteint à peine 3 millions de véhicules (le chiffre s’élève à 39,5 millions en 2018) mais le nombre de tués sur les routes se monte déjà à 4 818 et dépasse le montant actuel (3 170 en 2023). *Sources ONISR
En 1966, 12 158 personnes perdent la vie sur les routes de France. Le pic sera atteint en 1972 avec 18 034 tués. Pourquoi une telle hécatombe ? Quelques éléments de réponse :
Des routes « d’avant-guerre »
Étroites, déformées, sans marquage et souffrant d’accotements non stabilisés… de nombreuses chaussées vieillissantes ne sont plus adaptées au trafic moderne et sont génératrices d’accidents. Le problème de leur réfection se pose dès le milieu des années 20. Malheureusement, les améliorations attendues seront freinées par la deuxième guerre mondiale et ses conséquences.
Les routes secondaires mal goudronnées, souvent macadamisées, sont les plus touchées. Combinant poids et vitesse, les véhicules « mordent » et désagrègent les revêtements : les actions tangentielles au contact des roues motrices désolidarisent et expulsent sur le côté les pierrailles enchâssées à la surface. Le limage produit par les variations de vitesses, les coups de freins et patinages dans les virages, etc. sont autant de facteurs aggravants. Les routes ainsi agressées subissent une usure accélérée générant décollement, effondrement, flaches et nids de poule…
Héritage du temps passé, les bordures d’arbres assuraient ombrage et fraicheur aux piétons et aux attelages. Depuis la généralisation des automobiles, elles génèrent un manque de visibilité et de graves accidents. L’expression populaire « se prendre un platane » perdure d’ailleurs encore aujourd’hui.
A partir des années 60, de nombreux arbres sont coupés. Les axes les plus fréquentés sont élargis et aménagés en tronçons à trois voies, celle du milieu étant utilisée pour le dépassement. Ces améliorations auront des résultats sur la fluidité du trafic mais vont avoir un effet pervers : l’accroissement des vitesses dangereuses et des collisions frontales graves. Ce type de route fut d’ailleurs surnommée aux États-Unis «suicide lane», voie de suicide.
En France, il faudra attendre le début des années 1990 pour que ces routes à trois voies non protégées soit progressivement supprimées et aménagées en voies de dépassements alternants.
Des autoroutes fragmentaires.
Les autoroutes sont nettement moins accidentogènes que les routes secondaires mais au sortir de la guerre, la France est très en retard par rapport à l’Allemagne et l’Italie. En 1965, les autoroutes couvrent moins d’un millier de kilomètres, soit 1/12e du parc autoroutier actuel. Dans un premier temps, les péages rebutent souvent les transporteurs routiers, peu enclins à faire des dépenses supplémentaires. Jusqu’au milieu des années 70, de nombreux camions vont continuer à encombrer les routes nationales.
Vacances et week-end : les « chauffeurs du dimanche »
La croissance économique et la hausse du pouvoir d’achat permettent un accroissement spectaculaire du parc automobile. Entre 1950 et 1960,il passe de 2,4 millions à 6,2 millions de véhicules. On peut voyager plus loin, les loisirs deviennent accessibles au plus grand nombre. En 1960, le « français moyen » utilise assez peu sa voiture en semaine mais il la réserve pour les sorties du week-end !
Malheureusement, là encore, les infrastructures routières ne sont plus adaptées. Lors des grands départs, les routes sont saturées par une procession de voitures, camions, cars et caravanes coincés dans la traversée des agglomérations où la route passe « à la rue ». Parmi les plus célèbres « verrous », on peut citer la commune de Tourves (Var) : le passage le plus étroit de la route Paris – Nice fait quatre mètres de large. Deux poids lourds ne peuvent pas se croiser. Le record est atteint le 2 août 1965 avec une file d’attente dépassant les 7 km. Une déviation ne sera ouverte qu’en 1968. (J.P Bernelin).
Au milieu d’une telle circulation, les esprits s’échauffent et des comportements dangereux en découlent. « Alors qu’au début de l’automobile, les conducteurs pratiquaient une camaraderie chevaleresque, il est apparu un nouveau comportement : la sauvagerie de l’automobiliste ! On ne trouve sur les routes qu’anathèmes, bouches tordues par la méchanceté, coups de phares et de klaxon haineux, queues de poisson etc. (J.A Grégoire – Le Figaro 2 avril 62).
Les véhicules utilitaires sont particulièrement détestés : les automobilistes accusent les routiers de s’accaparer les routes avec leurs camions qui se trainent dans les côtes puis accélèrent dans les lignes droites, rendant le dépassement dangereux. De leur côté, les routiers reprochent aux automobilistes leur inexpérience de chauffeur du dimanche et leurs maladresses imprévisibles.
« La vitesse est un excitant mental irrésistible… «
« … La conduite libère l’un des instinct les plus profonds de l’homme, un complexe de supériorité, une volonté de puissance confortée par le masse de la voiture et l’ivresse de la vitesse ». Elle satisfait au besoin d’évasion et procure un attrait physique et psychique » (7emes Assises Nationales sur les accidents et le trafic – 1965)
Le code de le la route de 1958 stipule que : « l’automobiliste doit constamment rester maître de sa vitesse ». Quelques limitations sont mises en place sur des secteurs réputés dangereux, ou dans certaines agglomérations, à l’initiative des mairies, mais aucune réglementation globale n’est imposée.
A cette époque, la mentalité générale est donc : « quand la voiture le permet, je roule à la vitesse que je veux n’importe où et dans n’importe quelles conditions ». Les publicités des années 1960-1970 sont très révélatrices ! elles exaltent les capacités du véhicule en matière de vitesse et mettent en avant le plaisir du conducteur à dompter les puissants chevaux mécaniques de la « bête ». La voiture est fougueuse, « de race » et prête à bondir… entre les mains d’un conducteur qui se doit d’être viril et dominateur !
En ces années euphoriques où l’automobile est un tel objet de désir et liberté, la recrudescence des accidents et la publication de statistiques macabres dans les journaux ne semblent pas affecter outre mesure la population : « Ces chiffres officiels paraissent accueillis avec une certaine résignation par l’opinion. Le public admet que la circulation automobile exige une aussi lourde rançon (…) Nous sommes stupéfaits par l’indifférence de l’opinion devant cette hécatombe croissante sur les routes françaises » (J.A Grégoire – Le Figaro 2 avril 62)
La vitesse est une des principales causes d’accidents graves mais à l’époque, la presse n’évoque pas l’utilité de la réglementer. Par contre, journalistes et analystes accusent un parc automobile hétéroclite qui fait cohabiter sur une même chaussée des véhicules lents (camions, voitures vieilles ou poussives…) et des modèles récents ou « sport » dotés de moteur puissants. L’état des routes est également incriminé à juste titre.
Et les camions ?
Les poids lourds font les gros titres de la presse en raison du côté spectaculaire des collisions, de leur gravité et du nombre des victimes. En réalité, ils ne sont directement impliqués que dans 7% des accidents mortels (statistiques de 1974). Dès 1954, les véhicules utilitaires et autocars sont soumis à des limitations entre 60 et 85 km/h selon le tonnage. Les accidents de poids lourds sont donc rarement dus aux excès de vitesse. Par contre, le freinage défectueux, la surcharge, le renversement, les pneus usés et l’inattention du chauffeur (fatigue, alcool…) sont le plus souvent pointés du doigt.
Premières mesures :
A partir de 1969, la vitesse est réduite à 60 km/h dans toutes les communes et la limitation à 90 km/h est imposée aux jeunes conducteurs dans la première année suivant l’obtention du permis. Il faudra cependant attendre 1974 pour que la limitation globale de 90 km/h sur les routes et 130 km/h sur autoroutes, soit mise en place.
A suivre : l’alcool au volant