Chauffeur routier… 1950-1970
Prendre la route… une vraie aventure.
Dans les années 50, les routes au revêtement médiocre, la traversée systématique des villes et des villages, les ponts, tunnels, passages à niveaux… demandent au conducteur routier une attention soutenue et un effort constant. Le trafic automobile n’a pas la densité d’aujourd’hui mais les rencontres imprévisibles (bétail, charrettes… ) ne sont pas rares et exigent également une réelle vigilance.
La traversée des villages de nuit, quasiment sans éclairage public, les routes non pourvues de signalisation nocturne, les usagers sans lanterne… sont autant de difficultés supplémentaires.
Près de 20 h de route pour faire Paris-Marseille…
Au début des années 1950, les conditions sont quasiment les mêmes que dans les années 30 : « les 800 km entre Paris et Marseille sont effectués à une moyenne de 40 km à l’heure. Le conducteur routier traverse 164 localités représentant 170 km soit 21% du trajet. Il rencontre 268 bifurcations ou croisements, 6 cassis ou dos d’âne. Il gravit 110 côtes (soit 87km), descend 20 pentes rapides, franchit 3 ponts réglementés, 33 passages à niveau dont 18 non gardés et négocie 520 virages. » (Lucien Chanuc .- Camions, chroniques d’un siècle)
D’un tempérament indépendant, le chauffeur sait développer des qualités de force physique, d’endurance et d’adaptation. De nombreux véhicules des années 1945, voire d’avant-guerre, sont encore en service : les cabines vibrent et ne sont pas insonorisées, le chauffage est mal adapté ou inexistant, le pare-brise étriqué, les sièges peu confortables. En outre, il faut avoir de la poigne et du doigté pour manœuvrer un volant sans direction assistée et dompter une boîte de vitesses à relais et à deux leviers !
Une profession jeune encore peu structurée
Souvent embauchés dans des petites entreprises de transport familiales, les conducteurs n’ont pas de formation particulière : ils apprennent sur le tas, en « doublette » avec un collègue aguerri. Dans les années 60, la fin de la guerre d’Algérie amène sur le marché du travail un bon nombre de jeunes gens titulaires de permis de conduire « poids lourds militaires », reconvertis facilement en permis civils.
Un des 4 camions Willème LC610 de la société Marmeth (Nantua) vers 1960
Si le chauffeur routier souhaite évoluer professionnellement et « se mettre à son compte », il peut obtenir un certificat de transporteur pour un véhicule de moins de 6 tonnes de PTAC, permettant une activité sur l’ensemble des départements. A cette époque, de nombreuses entreprises débutent ainsi et achètent des licences de tonnages supérieurs après quelques années de fonctionnement. A Partir du 1er janvier 1967, l’accès à la profession va être soumis à un examen de gestion et réglementation donnant droit à l’attestation de capacité de transporteur.
La formation professionnelle tend elle aussi à se structurer, notamment avec la création dès 1957 de l’Association pour la Formation dans le Transport (AFT) à l’initiative de l’Union des Fédérations du Transport. Un premier centre est ouvert à Monchy Saint Eloi (Oise) avant d’essaimer dans d’autres régions.
Entre 15 et 17 heures d’amplitude de travail par jour
À cette époque, la rémunération du chauffeur routier est composée d’un salaire fixe auquel s’ajoutent des primes kilométriques « au voyage » ou « au tour », voire un pourcentage sur le chiffre d’affaires mensuel (3 à 4 %). La perspective de ces primes encourage le conducteur à accumuler les heures de conduite et à multiplier les courses, au détriment de son repos et de sa sécurité.
Malgré un décret de 1960 visant à réglementer la profession, la réalité du terrain est toute autre. Le chauffeur routier est censé noter ses temps de conduite et de repos sur un carnet journalier qu’il peut modifier à sa guise et qui ne reflète que rarement la vérité. L’utilisation du disque tachygraphe non falsifiable sera obligatoire sur tous les véhicules de plus de 3,5 t à partir de 1969.
Mise à jour du carnet journalier , surnommé
communément «p’tit menteur » par les routiers
La semaine du chauffeur routier commence souvent le dimanche soir jusqu’au samedi suivant, soit plus de 80 heures hebdomadaires. Le temps de travail ne s’arrête pas à la conduite : dans les petites entreprises, le conducteur effectue lui-même l’entretien de son véhicule (vidange, changement de pneus…) sur son temps de repos.
La palettisation du fret n’étant pas encore très répandue, les chauffeurs assurent également la manutention si nécessaire : ils « déchargent à la paluche ».
Le Relais Routier : deuxième foyer du chauffeur
le journal Les Routiers est fondé en 1934. Son mode de distribution est original : les journaux sont mis en dépôt-vente dans certains garages, cafés et restaurants au bord des routes nationales. dès lors, les chauffeurs routiers s’arrêtent volontiers dans ces établissements « relais » signalés par le panonceau rouge et bleu.
Les restaurants labellisés « Les Routiers » s’attachent une clientèle fidèle. En échange, le propriétaire du Relais se doit de disposer d’un vaste parking, de posséder un téléphone pour faciliter la diffusion des messages professionnels et de fournir aux routiers un local de toilette pour leur confort. Certains établissements sont pourvus d’une salle de repos. Les menus sont copieux et d’un prix modéré.
« Les points de rencontre se situent dans des stations-service et restaurants routiers précis qui correspondent aux régions d’origine des transporteurs. Les Clermontois, les Stéphanois, Lyonnais, Marseillais… tous ont leurs habitudes dans différents Relais Routiers où les nouvelles se diffusent autour du repas. » (Jean-Pierre Bernelin, routier)
Parking de La Tête Noire, entre Montélimar et Marseille – 1966
LE CAMION : « résidence principale » du routier
Après les années sombres de la guerre, les principaux constructeurs de poids-lourds proposent leur nouvelle gamme modernisée : le confort du conducteur est indissociable à la performance et devient un critère de choix pour l’achat d’un véhicule.
Dès le début des années 50, Berliet sort la gamme GLC, GLR, GLM.
La nouvelle cabine Berliet « semi-avancée » offre de nombreux avantages : capot raccourci, meilleure visibilité, longueur carrossable augmentée derrière la cabine, accès au moteur facilité. Le poste de conduite dispose d’un siège baquet réglable en hauteur, d’un plafonnier électrique… Le pare-chocs est arrondi pour améliorer la surface balayée nécessaire au braquage et la sécurité en cas de collision.
Au Salon de Paris 1958 : Berliet présente la cabine RELAXE tout confort, privilégiant la pureté de la ligne et la sobriété des formes.
Sa conception en coque emboutie légère et résistante, permet l’intégration d’un vaste pare-brise panoramique. L’accès est facilité par une large ouverture des portières. Le moteur est placé dans un tunnel étanche avec évacuation de l’air chaud vicié vers l’arrière.
L’exemple du GRK Berliet : Avec lui, la durée du trajet et la fatigue au volant seraient notablement réduites, comme en témoigne Monsieur Berry, chauffeur routier des Ets Mighirian, qui effectue l’aller-retour Paris-Marseille trois fois par semaine. « Parti le matin même de Marseille avec un chargement de primeurs, il y retournait aussitôt avec des pièces de fonte » (Berliet Charge utile – 06/62).
Jusqu’à la fin des années 60 et malgré les progrès réalisés dans la conception des camions, il faudra attendre l’amélioration des infrastructures routières et surtout l’extension des autoroutes pour que les moyennes des transports sur routes dépassent 50km/h. Ces avancées paraissent modestes aujourd’hui, mais elles signifiaient déjà une évolution notable dans la circulation des marchandises, contribuant fortement aux progrès économiques de l’après-guerre et au début des « 30 glorieuses ».
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