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Fondation de l'Automobile Marius Berliet

Aux origines du Transport – Part 3 : lorsque la route freine le progrès

Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, les premiers véhicules motorisés sont accusés de nombreuses nuisances et accidents. Leur poids et leur vitesse vont également générer d’autres dommages, moins spectaculaires mais tout aussi préoccupants, sur les chaussées en elles-mêmes.

Attaquées par les voitures, les routes souffrent !

Dans les année 1900, les routes sont prévues pour des attelages circulant à moins de 10 km/h. La cohésion de leur revêtement est trop faible. Combinant poids et vitesse, les véhicules à moteur écrasent le macadam mais surtout, ils le « mordent » et le désagrègent ! Les actions tangentielles au contact des roues motrices désolidarisent et expulsent sur le côté les pierrailles enchâssées à la surface. Le limage produit par les variations de vitesses, les coups de freins et patinages dans les virages, etc. sont autant de facteurs aggravants.

Remblayage des nids de poule en 1914

Extrait de presse dans la Vie Lyonnaise – 1914

Résultat…

Les routes ainsi agressées subissent une usure accélérée générant décollements, effondrements et flaches (nids de poule). Les effets de ces dégradations se répercutent alors sur les automobiles : augmentation des sorties de routes, des accidents, des crevaisons mais aussi des casses en tous genres.

Affiche humoristique de 1905

Réparation d’une crevaison en 1906 (voiture Berliet)

La poussière : ennemie sournoise

Les poussières soulevées par la circulation sont une calamité subie de longue date : elles souillaient déjà les bâtiments et incommodaient les riverains bien avant l’automobile. Dans les agglomérations, les services d’entretien des voiries n’ont eu de cesse d’en limiter les effets au moyen d’arroseuses (voir photos ci-dessous).

Arroseuse à bras – 1905

Arroseuse Berliet – 1911

Avec la multiplication des véhicules motorisés, de nouveaux problèmes apparaissent : non seulement les poussières sont projetées plus fort, mais elles vont jusqu’à impacter les pièces mécaniques en elles-mêmes. Les particules s’insinuent notamment dans les cylindres du moteur, se mélangent avec l’huile de graissage et provoquent une usure rapide des pistons. Par temps de pluie, elles se transforment en une boue liquide et abrasive néfaste aux freins, à la direction et aux pièces mobiles du véhicule.

Qu’en est-il des camions ?

Entre 1890 et 1914, les progrès techniques avancent à grande vitesse mais les automobiles doivent circuler sur des routes qui n’ont pas été prévues pour elles, bref… sur des chaussées d’un autre âge. Plus encore que les voitures légères, les premiers utilitaires vont devoir s’adapter, afin de livrer leurs marchandises dans les meilleures conditions.

Document pédagogique issu du catalogue Berliet 1910

Le maître-mot est alors la robustesse ! lorsqu’un constructeur de poids lourds entreprend l’étude d’un véhicule, son objectif est de s’assurer en priorité que le camion résistera aux aléas de la chaussée et aux trépidations qu’elles entrainent. Les solutions adoptées sont :

  • Des roues de petit diamètre, gage de stabilité
  • Des organes renforcés et un moteur à régime lent
  • Des roues cerclées de fer ou à bandage plein (les pneumatiques sont encore trop fragiles)
  • Un châssis épais et des essieux solides, très peu suspendus, pour éviter l’effet de « ballant »
  • Le poids réparti de façon à assurer une bonne accroche de l’essieu-moteur.

Vue arrière châssis Berliet 1908

Berliet type CAU transport de farine – 1912

Ces caractéristiques assurent la solidité et la stabilité du véhicule mais elles ont un effet d’usure important sur les routes empierrées ou macadamisées. Les premiers constructeurs de véhicules lourds entretiennent – bien malgré eux – un cercle vicieux : leurs camions, conçus pour circuler sans versement ni casse en dépit des mauvaises chaussées, ont pour effet d’en accentuer encore l’inexorable dégradation.

Article Omnia 1920

Camion Berliet M en 1910

Comment remédier au problème ?

Pour aller de pair avec l’essor de l’automobile et du transport routier, une politique de modernisation des chaussées serait – en théorie – la solution optimale. En attendant une amélioration concrète des routes, les premières réponses des pouvoirs publics vont tomber… et elles seront principalement fiscales :

  • Taxes en fonction de la puissance du moteur : d’abord pour les voitures (1910), puis élargies aux véhicules utilitaires (1913)
  • Taxe à partir de 3 tonnes de poids total, à raison de 20 francs par tranche de 100 kg
  • Taxe sur le poids total pouvant être réduite de moitié, si le véhicule est muni de roues à bandage caoutchouté.

A cela s’ajoutent des taxes locales et des mesures de limitation de vitesses qui varient selon les régions et les municipalités.

Quant à consolidation du revêtement routier proprement dit, les ingénieurs des Ponts et Chaussées vont s’y atteler à partir de 1900 et de nombreux essais sont menés :

  • macadam arrosé au chlorure de calcium,
  • amalgames à base de béton
  • épandage de goudron coulé « à chaud » etc.

Chlorurage des routes en 1914

Goudronneuse bitumeuse à chaud Latil 1930

Ces initiatives précoces se multiplient avec plus ou moins de bonheur. L’asphalte et le bitume, issus du pétrole, seront les solutions les plus prometteuses. Les campagnes de goudronnage moderne à base d’«enrobé» (graviers mélangés d’asphalte ou de bitume) vont néanmoins mettre plus de 50 ans à se généraliser sur les routes françaises.